dimanche 6 octobre 2013

Féroce – J.F.Chabas/D.Sala – 32 p. - Casterman – 2012 – 16.50 €


Après le Bonheur prisonnier et la Colère de Banshee, j’ai retrouvé avec plaisir deux auteurs que j’affectionne. Dès la couverture, j’ai su que cet album m’emporterait loin, ailleurs, dans un monde que je ne connaîtrai jamais malheureusement. Dans ce monde, une louve vient de mettre bas. Elle lèche ses petits afin de les nettoyer et de les stimuler. Un des petits ouvre les yeux. Au premier regard échangé, la louve sait que ce petit sera différent. Il semble terrifiant et cruel. A chaque tétée, elle frissonne de le voir s’approcher d’elle. Ses frères sont effrayés. Il semble féroce avec son pelage rougeâtre, ses énormes crocs et ses prunelles écarlates. En grandissant, tous les membres de la meute l’évitent. Rejeté par les siens, n’inspirant que peur et épouvante, le jeune loup rouge calque son comportement sur l’image que les autres loups lui renvoient, il devient féroce, cruel et sanguinaire. Après bien des combats, il est chassé de la meute et devient un loup solitaire. Il chasse, il traque, il s’enivre de brutalité et de sauvagerie. Même les arbres sont terrorisés lorsqu’il court entre leurs troncs. Au cœur de la forêt de sapins, comme à leur habitude, les branches se resserrent et la flore fait silence pour laisser le passage à la Bête. Mais Féroce s’arrête car il aperçoit une petite fille dans la clairière de pins. Occupée à cueillir des lis, elle ne voit pas l’animal qui l’observe. Il pousse alors un hurlement terrifiant afin de se délecter de la terreur de l’enfant. Celle-ci se retourne lentement pour affronter le loup rouge. Elle ne tremble pas, elle ne hurle pas de peur. Elle finit d’attacher le lis dans ses cheveux avant de s’approcher de lui pour le dévisager …Je ne suis pas très charitable de vous laisser au point culminant de l’histoire mais je ne veux pas dévoiler tout le charme et l’originalité de ce récit. L’illustration de couverture m’interpellait car elle me rappelait une autre couverture. J’ai secoué mes tablettes, soulevé des piles de livres, j’ai remué mes enfants et leurs bibliothèques et j’ai trouvé : Marlaguette ! Féroce est une réécriture de Marlaguette (d’après moi). Laissé le Père Castor sur son barrage car ce récit est aussi une réinterprétation. Féroce est un récit puissant et sauvage. La peur, l’angoisse, le rire mais aussi l’empathie sont ressentis tout au long de l’histoire. Les thèmes de l’apparence et de la différence sont traités avec honnêteté et sincérité. De nombreux clins d’œil sont à découvrir comme cette couleur rouge qui unit la petite fille et le loup. Ce nom de Fenris le loup rappelle les contes scandinaves. J’ai ri devant l’espièglerie de la petite fille qui défend les femmes de façon brillante et qui, du coup, force le rapprochement entre le loup et l’homme (Cette petite fille serait-elle un chaperon rouge d’une nouvelle génération !). Les illustrations sont splendides et se déploient sur des pages qui se déplient pour offrir des panoramas à couper le souffle et arrêter le temps. Certaines pages offrent des illustrations ton sur ton à toucher. On s’enivre des couleurs profondes et complexes. Les alternances de points de vue et de champs forcent le regard et ouvrent un dialogue infini entre le texte et l’image. Une fois de plus, les illustrations de David Sala m’ont rappelé les peintures de Klimt. MoyenMoyen voulait absolument que je le lui lise. Je l’ai prévenu que cet album pouvait lui faire peur. Il a insisté et j’ai cédé. Il a adoré. Je l’ai lu plusieurs fois d’affilée ce soir là. Quelques semaines plus tard, il me le réclame encore souvent et je sais qu’il le lit aussi tout seul. Il dit que le plus difficile c’est de ne pas se perdre dans les illustrations …Je parie qu’il se rappellera de cet ouvrage toute sa vie. Il se mariera avec une infirmière brune qui adorera les robes rouges …Dès 7 ans.
En comparant les deux couvertures, on remarque que sur l’album Féroce, la petite fille et le loup sont de la même taille. Ils regardent dans la même direction. Ils ont convergé l’un vers l’autre et se tournent maintenant vers l’avenir pour créer ensemble un monde dans lequel Féroce sera aimé. D’ailleurs il n’a plus de passé. Il n’y a pas d’empreinte de ses pattes dans la neige. Alors que la petite fille, aimante et donc certainement aimée des siens, se construit avec son passé. Derrière Féroce, il n’y a que des préjugés et des ressentiments qui l’enferment dans un comportement dont il est prisonnier comme ces troncs de bouleaux, en arrière-plan, qui ressemblent à des barreaux. Le loup et la fillette sont égaux et unis. Il n’y a pas de rapport de domination ou de force. L’illustration de couverture de Malaguette est tout autre et effectivement l’album conte une tout autre histoire !