lundi 7 octobre 2013

Le cœur en braille – P.Ruter – 291 p. - Didier Jeunesse – 2012 – 14.20 €


Victor vit seul avec son père. Sa mère est partie mener une nouvelle vie. Elle a coupé toutes relations avec son ex-mari et son fils. Le jeune homme et son père partagent une passion commune : les Panhard. Ces vieilles voitures sont le cœur de leurs discussions. Ils passent leur temps libre à bricoler le vieux modèle familiale dans la cour de leur maison. Ils lisent et traquent la moindre information dans le manuel Krebs qui est leur bible. Cette passion commune les lie et les empêche de sombrer dans le désespoir. Ils ont beau forcer le rire et la bonne humeur, parfois la déprime rôde : « Elle est partie et on s’est retrouvé tous les deux, et sans toi je me serais noyé ! Tu comprends ? – Oui, Papa, je comprends les choses du grand bassin de la vie. C’était super solennel ! ». Cahin-caha, en se donnant la main et en effleurant la vie avec légèreté, Victor et son père semblent heureux. Victor a tout de même un problème majeur dans la vie : il a de très importantes difficultés scolaires. Ni le sport, ni le français, encore moins les mathématiques, ne trouvent grâce à ses yeux. Son cerveau, qui fonctionne pourtant à plein régime, ne correspond pas aux attentes et aux rythmes de l’école. Victor n’est pas scolaire. Il a une compréhension des concepts complètement farfelue et personnelle. Il a peut-être une capacité d’abstraction trop importante pour l’apprentissage des notions scolaires en classe et en cohorte. Il est un peu poète et très philosophe. Avec ses meilleurs amis Etienne et Marcel, il a monté un groupe de rock fracassant qui ressemble plus à un défouloir sonore qu’à une harmonie musicale. En ce jour de rentrée en 4ème, Victor sait déjà que l’année va être longue et infructueuse. Mais depuis qu’il fréquente assidûment Robert le Dictionnaire, Victor a l’impression de reprendre pied. Il comprend mieux les conversations. Ces définitions, glanées par ci par là, l’entraînent dans des monologues intérieurs intenses qui parfois le bouleversent. Depuis qu’il a fait alliance avec Robert, la vie lui semble moins effrayante. Il trouve aussi du soutien auprès d’Haiçam, le fils du concierge qui est aussi un camarade de classe. Haiçam est lui aussi un enfant différent. Il est champion d’échec et une brillante carrière internationale l’attend. Il tente d’initier Victor aux stratégies d’ouverture qui correspondent d’après lui aux aléas de la vie. Malgré la flexibilité et la force de l’ouverture nimzo-indienne d’Haiçam, malgré la lecture des Trois Mousquetaires, malgré Robert le dictionnaire et malgré tout l’amour de son père, Victor va vivre une année surprenante et même terrifiante. Une telle révolution ne peut être dûe qu’à une rencontre, la rencontre d’une jeune fille : Marie-Josée. Cette jeune fille est une élève exemplaire et une violoncelliste talentueuse. Elle va détecter chez Victor une empathie extraordinaire. Elle décide alors de lui proposer un contrat. Marie Josée accepte de le former au travail intellectuel et scolaire ; en échange, il devra prendre soin d’elle. Effectivement, Marie-Josée est atteinte d’une maladie incurable et sa vue baisse de jour en jour. Il doit l’aider quelques semaines afin qu’elle puisse passer les épreuves du conservatoire et ainsi échapper à la clinique spécialisée où ses parents lui ont réservé une place. Le contrat est clair et ne permet pas d’échappatoires. Marie Josée et Victor sont liés par un engagement moral mais peut-être que même les contrats les mieux ficelés ne suffisent pas à brider les sentiments lorsqu’on a 14 ans ! Pascal Rutter offre un roman dont le style est surprenant. Tantôt il donne voix au langage des jeunes, aux mots les plus grossiers et aux expressions de cour de collège les plus triviales, tantôt les dialogues ou les monologues intérieurs sont subtils et poétiques. Certaines métaphores sont somptueuses. Les personnages sont travaillés dans toute la complexité de leur âge et de leurs préoccupations. Victor le héros est vraiment poignant devant sa médiocrité scolaire. Ses réflexions sur le sens de la vie et le pourquoi des choses sont riches et dépassent les platitudes souvent rencontrées. L’amour entre Marie et Victor est décrit comme les plus belles légendes d’amants maudits. Je le conseille aux lecteurs dès 10 ans s’ils aiment les romans volumineux et introspectifs.