vendredi 4 octobre 2013

C’est pour mieux te manger – F.Rogier – 32 p. - Atelier du Poisson soluble – 2013 – 15 €


Cet album est une réinterprétation délicieuse du Petit Chaperon rouge !
Tout commence selon les codes des contes traditionnels ou presque « Il était «encore» une fois », la forêt, un Chaperon rouge tiré à quatre épingles, le panier de victuailles pour mère-grand. Le loup joue son rôle de gps et envoie le Chaperon au plus profond de la forêt. Sur le chemin, les trois petits cochons se cachent derrière les arbres pendant que le Chaperon s’enfonce dans les bois. Elle frappe à la porte et là on entend la formule usuelle mais non usée « Tire la chevillette et la bobinette cherra … ». Le Chaperon entre … Je ne vous raconte pas la suite de cet album qui est savoureux par sa chute. Une surprise attend le lecteur qui s’interrogera du coup sur la facilité avec laquelle il s’est fait duper. Les repères habituels du conte sont si bien mis en scène que les autres détails et informations fournis ne sont pas remarqués à la première lecture. Pourtant l’auteur laisse deviner par de multiples éléments que cette histoire est un peu inhabituelle : pourquoi les trois petits cochons se cachent-ils du Chaperon ? Pourquoi la maison de mère-grand est-elle si inhospitalière avec sa décoration intérieure bien particulière ? MoyenMoyen, 6 ans, s’est laissé prendre comme un perdreau de l’année bien qu’il m’ait fait remarquer qu’il ne voyait pas le visage du Chaperon dès la troisième page. En ce qui me concerne, j’avais bien noté l’ambiance originale mais je ne m’attendais pas à cette fin vraiment pas ordinaire. En fermant l’album, nous avions l’impression d’entendre Françoise Rogier nous dire « Je vous ai bien eus ! ». Nous avons beaucoup aimé et nous avons bien ri de cette ruse. Nous avons aussi discuté sur l’importance de se faire sa propre opinion. Je lui ai rappellé qu’il ne fallait pas se laisser embrigader par l’opinion commune et une certaine paresse intellectuelle …Nous avons relu plusieurs fois cet album pour retrouver et détailler tous les indices qui préparaient la situation finale si délicieuse. Les illustrations sont délectables. Rouge, blanc et noir sont les trois seules couleurs utilisées. Elles permettent d’obtenir une ambiance vraiment particulière. Les crayonnés jouent sur le rapport de contradiction texte/image qui crée un effet de décalage intrigant. Elles appuient la tension narrative et incitent à tourner les pages pour découvrir la fin de l’histoire. La double page complètement illustrée de l’entrée du Chaperon rouge chez mère-grand est un régal. Elle entre véritablement dans la gueule du loup. L’entrée de la maison est personnifiée. L’ambiance est inquiétante à souhait avec des couteaux, des jambons et une blouse ensanglantée qui pendent au porte-manteau. Les coups de crayon simulent les poils du loup et toute cette double page insiste sur la peur de la dévoration. Une interprétation du petit Chaperon rouge qui vaut le détour ! Dès 5 ans.