lundi 23 septembre 2013

Les enfants de la forêt – B.Masini – 248 p. - La Joie de Lire – 2012 – 16.50 €


J’ai choisi ce livre sur le stand de La Joie de Lire au Salon du livre jeunesse de Montreuil. Cette maison d’édition qui m’est chère a été un des premiers lieux où je me suis rendue le 3 décembre. Ce livre a tout de suite attiré mon attention. Je l’ai parcouru. J’ai lu la quatrième de couverture. J’ai noté qu’Hervé Tullet était l’illustrateur. Je l’ai reposé. Je m’étais promis de n’acheter aucun ouvrage avant 15h. Ayant un budget limité, je savais que je devais faire des choix, dégager des priorités, évaluer le potentiel de chaque livre … A 15h01, ce livre était dans mon sac. Je ne regrette pas mon choix. Ce roman est d’une grande qualité littéraire. Le suspens est élaboré avec subtilité. L’imagination se déploie à chaque ligne et le lecteur ne peut s’empêcher de projeter ses peurs et ses angoisses afin de savoir ce qui va advenir. Au-delà de la mort, Bruno Bettelheim et Vladimir Propp doivent applaudir devant ce détournement des contes célèbres. Dans ce récit post-apocalyptique, l’importance du livre, de l’histoire racontée et le sens profond des contes traditionnels est la clef de voûte de cette aventure extraordinaire. Après l’explosion d’une bombe atomique, la Terre est dévastée. Les survivants vivent sur des planètes colonisées. Des Asternefs permettent des liaisons entre les différentes bases. Pilotés par des Pionniers, les Asternefs rassemblent une population de contrebandiers qui ravitaillent les bases en ferraille, nourriture et restes en tout genre d’une civilisation éteinte. Suite à l’explosion, de nombreux orphelins ont été retrouvés. Les adultes sont trop peu nombreux pour prendre soin d’eux. L’intendant Mac Kamp a été chargé de construire une base pour accueillir les survivants qui errent dans les décombres. Peu habitué aux enfants et ne s’intéressant nullement à eux, son équipe et lui numérotent, comptent et enferment les enfants dans un immense no man’s land où des abris de fortune sont dressés en cercle. Les quelques gardiens sont terrés dans leur propre abri coupé du camp des enfants. Leur travail consiste à surveiller les enfants par télésurveillance. Chaque jour, une longue sonnerie retentit afin de regrouper les enfants pour la distribution du Médicament. Il médicament endort et abrutit les enfants (le Tramadol résiste peut-être aux radiations !). Complètement drogués, ils perdent peu à peu leurs repères et leurs habitudes. Ils oublient qui ils sont et d’où ils viennent. Les enfants sont classés en deux catégories. Tout d’abord, les Surgeons, véritables survivants à l’explosion atomique. Ces enfants de tout âge ont souvent des troubles dus à leur exposition aux radiations : ils sont en détresse psychique mais aussi malades ou ravagés par des maladies de peaux. Les autres enfants sont les Surgeons. Ils sont des stocks embryonnaires crées en laboratoire en prévision de la Grande Menace. L’explosion a détruit les laboratoires et les couveuses ont déclenché le maternage des embryons. A la Base de Mac Kamp, des milliers d’enfants survivent sans soins, sans éducation, sans conseils et sans amour. Ils sont regroupés en petit clan, les Grumes. Chaque grume a un chef-enfant qui doit sa place de leader à la force de ses poings, à la vivacité de ses coups et à la rapidité de ses jambes. Chaque grume complote pour survivre quelques jours de plus. Au Grume Treize, Hana est le chef. Elle mène sa tribu avec autorité et les coups pleuvent souvent. Glor, Dudu, Tom, Ninne, ZéroSept, Cranach et Orla survivent sous ses ordres. Tom est l’enfant le plus secret du groupe. Il évite tout contact avec les autres enfants. C’est un surgeon. Des réminiscences émotionnelles lui reviennent parfois en mémoire. Ces souvenirs appelés Tessons le perturbent car il ne retrouve pas d’équivalent dans sa vie actuelle. Il devine que le médicament distribué annihile ses souvenirs. Il décide alors de ne plus avaler le comprimé du soir. A la sonnerie, il le glisse dans sa bouche pour le recracher sous son lit. Afin de trouver un peu de tranquillité, il se réfugie souvent dans la forêt qui jouxte leur campement. Cette forêt effraie tous les survivants. Elle cacherait des monstres, des loups. Tous les enfants qui s’y sont aventurés ont disparu. Malgré ses peurs et les légendes entendues, Tom explore, repère et s’éloigne peu à peu du campement. Un jour, Tom découvre une valise contenant un livre. Cet ouvrage est un livre de contes. Page, après page, ligne après ligne, Tom lit. Il devine alors qu’il a appris à lire lorsqu’il était plus petit. Il se souvient qu’une voix douce lui racontait cette histoire du Petit Chaperon rouge. Il se souvient aussi d’un sourire qui lui était destiné. Tom se réapproprie son passé. Il revient à la vie. Libéré des sédatifs, stimulé par les histoires du livre, Tom décide de s’enfuir en se réfugiant dans la forêt. Hana veille et le surveille. Elle devine ses intentions et la nuit du départ, tous les enfants de la Grume 13 partent avec lui …En relisant ma présentation, je me rends compte que sa lecture peut rendre ce livre effrayant et complètement angoissant. Pourtant la fuite dans la forêt est une quête initiatique plein de sens et d’humanité. Les petits survivants vont devenir des enfants. Ils sauront trouver en eux et entre eux, les liens et la foi nécessaire pour s’élever au-dessus des adultes qui décident pourtant de leurs sorts. Tom devient le chef d’un clan soudé. Les histoires du livre de Tom sont un rituel d’éveil philosophique. Ce recueil de conte devient un livre sacré. Les survivants vont (ré)apprendre à être et à vivre ensemble en s’inspirant des contes. Le thème du clan d’enfants livrés à eux-mêmes est ici complètement renouvelé. Je pense notamment à la Survivante de G.Fontaine, sa Majesté des mouches, sa Majesté des Clones, Deux ans de vacances …Cela peut paraître de l’ordre du détail mais je tiens à vous signaler que ce livre est un bijou à tenir en main. Le papier épais est un délice. La pliure et l’équilibre général de l’objet sont parfaits. Je conseille ce roman aux lecteurs confirmés dès 12 ans.